Issam Sammour
Quand les forces israéliennes ont envahi l'Est de Khan Younis
Issam Sammour
Lieu : Khan Younis
Profession : travailleur humanitaire, militant des Droits humains, photographe
Langues : anglais, arabe
Membre du comité exécutif de Gaza-Palestine.org
Issam décrit jour après jour ses expériences et ses impressions dans la Bande de Gaza.
Il photographie également les conséquences et les destructions causées par les frappes aériennes et les tirs d'artillerie israéliens sur Khuzza et Bani Suhila, à l'est de Khan Younis en 2014.
18 juillet
Mon frère Hamada, qui a 22 ans, est venu me voir et m'a dit : "Issam, c'est vendredi. On va à la prière du vendredi à la mosquée ?". J'ai été choqué de réaliser que j'avais oublié quel jour on était. Je lui ai répondu : "Mais tu vois bien le nombre d'avions de combat, et tu as entendu les bombardements". Il m'a souri : "N'aie pas peur, mec. Ce n'est qu'une vie. S'ils nous touchent avec un missile, au moins nous mourrons ensemble". Cela m'a laissé un sentiment mitigé. J'étais un peu hésitant, me demandant si c'était le bon moment pour partir ou non. Je me suis dit : "Sois courageux, Issam".
Je me suis changé et nous avons quitté la maison ensemble, parlant de la guerre et nous demandant quand elle prendrait fin. Il n'y avait personne dans la rue, ce qui me rendait nerveux. La distance entre ma maison et la mosquée est d'environ sept minutes à pied, mais la panique grandissante me faisait craindre à chaque instant qu'une frappe aérienne ne nous tue. Finalement, nous sommes arrivés sains et saufs. Nous nous sommes sentis réconfortés en accomplissant la prière du vendredi, puis nous sommes rentrés chez nous.
Il n'y a pas d'électricité à la maison, ce qui est un véritable cauchemar. L'horloge avance lentement. Nous voulons savoir ce qui se passe autour de nous. Nous entendons des bombardements et des sirènes d'ambulance dans toutes les directions mais, sans accès à Internet, nous ne pouvons pas déterminer quels endroits sont touchés. Pendant ce temps, chaque fois que je ferme les yeux, je revois les quatre enfants d'Abu Bakr qui ont été tués alors qu'ils jouaient au football sur la plage de Gaza. L'image de leurs petits corps déchiquetés par les obus est gravée dans ma mémoire.
J'ai ouvert les yeux. Mon cœur était lourd. Mon plus jeune frère m'a annoncé d'une voix forte que le courant était revenu. Je me suis secoué et j'ai commencé à consulter mes messages sur Internet pour essayer de me tenir au courant des dernières nouvelles. J'ai contacté mes amis pour m'assurer qu'ils allaient bien et savoir si quelqu'un avait été tué ou blessé. J'ai lu sur Twitter qu'une maison familiale avait été touchée dans la Middle Area, zone centrale, et qu'une personne avait été tuée. Plus tard, j'ai découvert que cet homme était un membre de notre famille.
19 juillet
Nous venions de rompre le jeûne lorsque des missiles ont commencé à tomber à proximité, provoquant de violentes explosions. J'ai reçu un appel d'un ami qui m'annonçait qu'un membre de la famille de ma mère avait été tué dans une frappe aérienne israélienne. Je ne savais pas comment l'annoncer à ma mère. J'étais tellement inquiet de sa réaction que j'ai décidé de lui en parler seulement après en avoir discuté avec mes deux frères.
Il était plus de 21 heures et les bombardements faisaient rage partout. Nous avions peur que Maman ne perde la raison lorsque nous lui annoncerions la nouvelle. Elle ne s'attendait certainement pas à ce que ses fils viennent lui dire : "Maman, Mohammed a été tué lors d'une attaque israélienne". Quand je lui ai annoncé la nouvelle, elle s'est mise à crier et à pleurer, et elle a cherché son téléphone pour essayer de contacter quelqu'un qui pourrait lui confirmer la nouvelle. Elle a finalement réussi à joindre ma tante, qui lui a dit que c'était vrai. Les larmes de ma mère coulaient comme des gouttes de pluie sur son visage. Je me suis assis à côté d'elle et je lui ai dit : "Maman, prie pour lui. Reste forte".
À 6 heures du matin, Maman m'a dit qu'elle allait aux funérailles, ses yeux étaient remplis de tristesse. Elle m'a demandé de nourrir les oiseaux sur le toit. Le problème, c'est comment monter sur le toit avec les avions de combat israéliens qui survolent la zone, scrutant le moindre mouvement au sol. Trente minutes plus tard, il y a eu des bombardements intensifs. Les forces israéliennes ont envahi l'est de Khan Younis.
Le bruit des bombardements n'a pas cessé. Mon frère a allumé la radio sur son téléphone. Une personne a été tuée et plusieurs autres blessées, toutes issues de notre famille élargie, qui s'était rassemblée au centre de notre maison familiale, ne sachant pas quoi faire d'autre. Les ambulances tentaient d'atteindre le site pour évacuer les blessés, mais elles ne pouvaient pas passer à cause des bombardements intensifs. Les femmes et les enfants pleuraient, ne sachant pas qui serait le prochain à mourir. Il y a tellement de tristesse. La mort est partout autour de nous.
23 juillet
Nous entendons une énorme explosion. Je dois protéger mes oreilles avec mes mains. Ma maison tremble. Nous sommes trois : mon père, mon ami et moi. De la fumée noire s'élève dans le ciel, tandis que des obus tombent près de chez nous, réduisant certaines maisons en ruines. Nous comprenons que la bombe est tombée près de chez nous. J'appele un membre de ma famille qui habite près du lieu de l'explosion et il me dit qu'il ne voit plus rien dans l'obscurité de la fumée. Nous sommes privés d'électricité 22 heures par jour. J'entends le chaos en arrière-plan : des femmes et des hommes crient « Allahu Akbar », des frères tentent d'écouter les informations à la radio. J'entends les sirènes des ambulances tout près, je comprends donc que des gens ont été blessés. Deux ambulances sont venues évacuer les corps de mes proches. Ils ont été tués dans un raid aérien alors qu'ils étaient assis dans leur jardin. Cela a été très difficile pour nous d'apprendre que certains de nos proches avaient perdu la vie.
Avec les frappes aériennes incessantes sur la bande de Gaza depuis plus de deux semaines, nous ne pouvons pas dormir. Nous passons tout notre temps à nous demander s'il y aura une trêve qui mettra fin à cette folie. J'ai des sentiments mitigés : peur, panique, parfois optimisme. Notre avenir est rempli de fumée noire. Je suis allé à l'enterrement et j'ai récité la prière Al Jannaza à la mosquée. J'ai vu beaucoup de visages rouges aux yeux furieux. J'ai vu les larmes de certains hommes, des moments d'une intense tristesse.
Lorsque les tirs d'artillerie aléatoires ont repris, mon plus jeune frère m'a dit : "Issam, je compte les secondes et les minutes, j'ai peur qu'ils me tuent à tout moment. J'attends juste d'être assassiné. Je sais que je ne devrais pas te dire ça, mais ils visent tout le monde et personne n'est en sécurité". Je lui ai parlé pendant un moment et j'ai réussi à le calmer. Il m'a fait confiance quand je lui ai dit que cela passerait bientôt et que nous ne perdrions jamais notre maison.
30 juillet
À Gaza, on passe toute la journée à compter les morts et les blessés, à suivre les informations sur les trêves humanitaires ou les accords de cessez-le-feu potentiels. La nuit dernière a été horrible; des bombardements intensifs ont tué environ 100 personnes. À midi, des avions de combat ont largué des tracts avertissant les habitants de la zone Est de Khan Younis de quitter la rue principale, Salah El Dein. Les familles étaient très inquiètes et se demandaient où aller.
Les yeux remplis de larmes et de colère, ma mère m'a dit : "Issam, je ne quitterai pas notre maison jusqu'à mon dernier souffle". Je suis allé voir mon père pour lui demander de la convaincre de partir. J'étais sûr qu'ils allaient nous bombarder. Les forces israéliennes tiraient au hasard des obus d'artillerie dans la région et je savais que des gens pouvaient facilement être tués. Maman a continué à refuser catégoriquement. J'ai demandé à ma tante de faire pression sur ma mère pour lui confirmer les conséquences de sa décision.
Finalement, mon père m'a parlé clairement : "Pourquoi quitter un endroit dangereux pour un autre ? Au moins, nous pouvons mourir chez nous et pas dans la rue. Tu sais bien que les frappes aériennes ont touché des maisons, des hôpitaux, des abris de l'UNRWA et des mosquées. Il n'y a aucun endroit sûr". Nous avons décidé de rester chez nous jusqu'à ce que nous apprenions qu'un accord de cessez-le-feu aurait été conclu. À ce moment-là, les négociations diplomatiques avaient déjà commencé.
À 22 heures, nous sommes allés nous coucher. Enfin, pas vraiment pour dormir, juste pour nous allonger. Avec ces bombardements incessants, il était impossible de fermer l'œil. Quelle horreur ! Mon frère disait qu'il y avait plus d'avions de combat dans le ciel que d'étoiles. On aurait dit qu'il y en avait un dans chaque petit espace. Dans les zones proches de la frontière, les tirs d'artillerie étaient incessants. Dans l'obscurité, nous n'entendions que le bruit des bombes, des avions de combat et des sirènes d'ambulance.
À 5 heures du matin, lorsque le jour s'est levé, nous avons décidé de ne pas rester chez nous. Ma tante est allée nous préparer du thé avant de partir. Soudain, un raid aérien a frappé un bâtiment très proche de chez nous. Des obus sont tombés sur notre maison et une fumée noire a commencé à s'élever rapidement. Nous avons couru chercher nos sacs et nous nous sommes précipités dehors en criant et en hurlant. Tout le monde se précipitait dans toutes les directions, pris de panique, mais j'ai réussi à rappeler tout le monde et à les calmer. Heureusement, nous avions deux voitures à notre disposition : celle de mon frère et celle d'un ami. Les 22 membres de ma famille se sont entassés dans deux voitures qui ne pouvaient normalement accueillir que 8 personnes, mais dans un moment pareil, on ne pense pas à des détails aussi insignifiants. L'important est de courir et d'échapper à une mort certaine.
Nous nous sommes rendus au camp de réfugiés de Khan Younis, où vit mon ami. Je l'avais appelé pour lui demander de nous trouver un appartement, mais c'était mission impossible en raison du nombre considérable de personnes déplacées de l'Est de Gaza. Certaines personnes dormaient dans la rue sur des cartons. Mon ami ne pouvait accueillir qu'un petit groupe chez lui. Nous nous sommes divisés en cinq groupes et chacun est parti dans un coin différent de la ville.
Nous sommes allés au marché pour ramener du pain et des conserves. Il y avait une longue file d'attente de personnes déplacées. Le centre-ville était bondé, avec des milliers de personnes allongées par terre, appuyées contre les murs ou faisant leurs courses. Les stocks étaient très limités au marché et l'eau était particulièrement rare. Je suis resté debout pendant deux heures sous un soleil de plomb juste pour ramener du pain à ma famille. Mes frères m'appelaient pour me demander : "Comment vas-tu ? Comment ça va ? Dis-nous si tu as des nouvelles d'un cessez-le-feu. Nous sommes tous épuisés !".
Photos by (c) Issam Sammour - Khan Younis, 2014.
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